Présidentielle 2024: deux affirmations du candidat Boun Abdallah Dionne sur la pêche vérifiées

Mahammed Boun Abdallah Dionne, candidat à l’élection présidentielle sénégalaise dont le premier tour est prévu le 24 mars 2024, a fait deux affirmations concernant le secteur de la pêche au Sénégal. Africa Check les a examinées.

Déclaration

« 600 000 Sénégalais, soit 17 % de la population, vivent de la pêche ».

Verdict

En 2022, il y avait environ 103 000 personnes travaillant dans le secteur de la pêche soit 2,2 % de la population active occupée, d’après l’Agence nationale de la Statistique et de la Démographie du Sénégal.

La source

Mahammad Boun Abdallah Dionne, candidat à la présidentielle sénégalaise de 2024
« 600 000 Sénégalais, soit 17 % de la population, vivent de la pêche », Mahammad Boun Abdallah Dionne, candidat à la présidentielle sénégalaise de 2024.
La donnée indiquant que 600 000 personnes vivent de la pêche au Sénégal est une statistique gouvernementale obsolète. « Il est très probable en effet que le nombre d’emplois dans la pêche a notablement diminué à cause de la crise que traverse ce secteur » – Rapport du Ministère sénégalais de la Pêche (2013)
Il y avait environ 103 000 personnes travaillant dans le secteur de la pêche soit 2,2 % de la population active occupée –  Agence nationale de la Statistique et de la Démographie du Sénégal.
Mahammed Boun Abdallah Dionne est un homme politique sénégalais, qui a été notamment Premier ministre du Sénégal de juillet 2014 à mai 2019. Dionne est l’un des dix-neuf candidats en lice pour l’élection présidentielle du 24 mars 2024 au Sénégal. Dans le cadre de sa campagne électorale, il a rencontré des représentants de la Coalition nationale pour une pêche durable (Conaped), le 12 février 2024.

Cette rencontre a été diffusée par la chaîne de télévision publique sénégalaise RTS1 dans le cadre de son « Journal de la campagne » qui couvre les activités quotidiennes menées par les différents candidats tout au long de la campagne pour ce scrutin présidentiel. Au cours de son entrevue avec la Conaped, Mahammed Boun Abdallah Dionne a déclarées : « 600 000 Sénégalais, soit 17 % de la population, vivent de la pêche ». Il s’est exprimé en wolof, langue locale la plus parlée au Sénégal. Nous avons traduit ses propos en français.

Nous avons tenté d’entrer en contact avec Mahammad Boun Abdallah Dionne afin de connaître la source des chiffres qu’il a avancés, mais nos appels et messages sont restés sans réponse. Africa Check actualisera cet article lorsque le candidat Dionne réagira à ces sollicitations.

Déclaration
600 000 personnes vivent de la pêche au Sénégal.

Verdict
Incorrect
Baïdy Dieng travaille au Ministère sénégalais des Pêches et de l’Économie maritime. Il est ingénieur des pêches et, par ailleurs, enseignant au Centre national de formation des techniciens de la pêche et de l’aquaculture (CNFTPA) du Sénégal.

Concernant la population vivant de la pêche, d’après Dieng, le concept renferme toute la chaîne de personnes dont les activités dépendent de la pêche.

Selon lui, ces personnes dont les activités dépendent entièrement de la pêche sont réparties en deux catégories : les acteurs directs et les acteurs indirects. Raison pour laquelle lorsqu’on parle de population qui vit de la pêche, il ne s’agit pas uniquement des pêcheurs, mais de tous ceux qui en vivent de manière directe et indirecte, dont les mareyeurs, les fabricants de pirogues, les transformateurs.

Au Sénégal, la Direction des Pêches maritimes (DPM), qui dépend du ministère de la Pêche et de l’Économie maritime, est une entité chargée de la mise en œuvre de la politique de l’État concernant les pêches maritime et artisanale. À ce titre, elle a pour mission, entre autres, la collecte, le traitement et la publication des statistiques en la matière. Ces données sont publiées dans un rapport annuel intitulé « Résultats généraux des pêches maritimes ».

Au Sénégal, un peu plus de 100 000 personnes vivent de la pêche, d’après les données disponibles

Le bureau des statistiques de la DPM a indiqué à Africa Check que la dernière enquête, réalisée en août 2023, a couvert exclusivement les activités directes de la pêche maritime :  le nombre de pêcheurs, de transformateurs, d’écailleurs, de mareyeurs, de micromareyeurs, de pointeurs, de porteurs et de transformateurs.

Présidentielle 2024: deux affirmations du candidat Boun Abdallah Dionne sur la pêche vérifiées

Comme visible sur le tableau ci-dessus reçu de la DPM, le secteur de la pêche occupe près de 151 000 personnes au Sénégal. Cependant, a précisé la même structure, cette enquête doit se faire au moins quatre fois dans l’année pour avoir une idée exacte de la population active dans la pêche maritime, la pêche continentale, l’aquaculture et dans les autres occupations connexes. De ce fait, la DPM recommande de consulter les données de l’Agence nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD) sur la population qui vit de la pêche, considérant ces données « plus complètes ».

« En 2022, il y avait environ 103 000 personnes travaillant dans le secteur de la pêche (capture et transformation) », nous a signifié l’ANSD, en soulignant qu’elle ne dispose pas de données récentes sur l’effectif des commerçants de produits halieutiques. L’ANSD a aussi précisé que le chiffre 103 000 a été calculé sur la base de son étude Comptes nationaux semi-définitifs 2022. Ces données détaillées sur la population active occupée par branche ne sont pas publiées sur son site internet mais sont fournies sur demande, a noté l’agence.
Eu égard aux données disponibles, la déclaration de Mahammed Boun Abdallah Dionne sur le nombre de personnes qui vivent de la pêche au Sénégal est incorrecte.
En affirmant que 600 000 personnes vivent de la pêche, Mahammed Boun Abdallah Dionne a également affirmé que ce chiffre correspond à 17 % de la population sénégalaise. Nous avons démontré plus haut que le chiffre selon lequel 600 000 personnes vivent de la pêche au Sénégal est incorrect.
L’ANSD a notifié à Africa Check que les 103 000 personnes travaillant dans le secteur de la pêche (capture et transformation) qu’elle a répertoriées représentent 2,2 % de la « population active occupée » au Sénégal.
La « population active occupée » comprend les personnes ayant un emploi permanent (même si elles sont en vacances, malades, en grève ou en arrêt provisoire de travail, etc.), mais aussi celles n’ayant pas un emploi permanent mais ayant travaillé au moins une heure au cours de la période de référence.
À l’image des 103 000 personnes répertoriées dans le secteur de la pêche, l’ANSD a déclaré que le pourcentage de 2,2% a été également calculé sur la base de son étude Comptes nationaux semi-définitifs 2022.
En conséquence, l’affirmation de Mahammed Boun Abdallah Dionne selon laquelle 17 % de la population sénégalaise vit de la pêche est incorrecte.
Des chiffres obsolètes qui ne reflètent pas totalement la réalité du secteur
À l’image de la déclaration de Mahammed Boun Abdallah Dionne, plusieurs articles sur internet affirment qu’il y a au Sénégal « 600 000 pêcheurs, soit plus de 17 % de la population active ». D’autres évoquent « près de 700 000 personnes » vivant de la pêche en donnant un pourcentage de 15 %.
Pourtant, aucun de ces chiffres ne reflète tout à fait la réalité du secteur, selon l’expert Baïdy Dieng.
« Les gens parlent souvent de 600 000, voire 700 000 personnes vivant de l’activité de la pêche au Sénégal », en donnant également un pourcentage que cela est censé représenter, « mais, en réalité, le vrai chiffre est très loin cette estimation », d’après l’expert. D’après lui, il n’y a pas eu d’enquête récente sur la population réelle vivant de la pêche. L’enquête à laquelle beaucoup de personnes et d’organisations font référence est caduque et ne devrait donc pas être une source de données fiables pour évaluer la population vivant de la pêche ainsi que la part de la population sénégalaise que cela représente, a également souligné Baïdy Dieng.
Son argument est appuyé par une étude de l’organisation Environmental Justice Foundation (EJF) publiée en octobre 2023. À travers des enquêtes et des formations qu’elle mène, cette organisation internationale se donne pour mission d’informer les politiques et conduire des réformes systémiques et durables afin de protéger l’environnement et, ainsi, défendre les droits humains. L’étude de l’EFJ cite « des statistiques gouvernementales obsolètes » indiquant que « le nombre total d’emplois directement ou indirectement liés au secteur de la pêche (secteur industriel inclus) pourrait s’élever à 600 000 ».
Les « statistiques gouvernementales obsolètes » évoquées par l’EFJ émanent d’un rapport du Ministère sénégalais de la pêche datant de 2013. Dans ce document, il est mentionné (page 15) : « On estime à 600 000 le nombre d’emplois directs et indirects liés à la pêche. Ce chiffre devrait cependant être actualisé par des enquêtes ou à travers le recensement. Il est très probable en effet que le nombre d’emplois dans la pêche a notablement diminué à cause de la crise que traverse ce secteur ».

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