Sénégal, déchéance d’une nation Par Adama Gaye*
L’acquisition d’un avion présidentiel dans un contexte où la pauvreté et une faillite systémique de l’économie nationale ont fini d’empêcher la majorité des Sénégalais de pouvoir fermer l’œil, la nuit, est le dernier clou sur le cercueil d’un pays qui a émis son ultime râle, sans le savoir.
La déchéance du Sénégal est totale. Le temps est loin où ses peuples, de toutes ses régions –du Djolof, au Walo, du Fouta au Fogny, du Baol au Sine-, aimaient tant se vanter de l’héroïsme de leur passé, en racontant les actes de bravoure qui ont rythmé leur histoire. Se revendiquer d’une culture du refus, de la résistance, bref de l’honneur, était la marque distinctive que portait en bandoulière l’homosenegalensis.
Evaporé, cet héritage. Comme atteints d’une indicible capacité à avaler les couleuvres, frappés d’un néo-pétainisme, capitulards, les Sénégalais, les yeux hagards, muets comme des carpes, se livrent, dans un assaut de servilité, sous le genou de celui qu’ils ont élu pour les diriger et dont ils découvrent qu’il n’est qu’un malfrat, sans oser l’affronter.
L’annonce par Macky Sall de l’achat d’un avion présidentiel aurait même pu ne pas être un problème si le sujet avait été débattu au préalable et validé par les instances représentatives, ou ce qui en tient lieu, du peuple, notamment à l’Assemblée nationale. Les exigences qui commandent d’habiller tout Etat d’atours parfois onéreux, voire inutiles, pour lui donner une stature, commandent parfois que même le plus pauvre se dote de ce genre de symboles fastueux, tel un avion présidentiel. Encore que, soyons clairs, dans le cas du Sénégal, d’un pays qui passe son temps à mendier, de par le monde, l’annulation de sa dette, devenue insupportable, se payer un avion aussi coûteux qu’un A320, dans le contexte actuel, revient à insulter le peuple-contributeur dont les maigres moyens sont ainsi ostensiblement gaspillés…
Plus gravement, la question, à couper le souffle, c’est que la décision a été prise loin de tout espace de délibérations convenu. En catimini. Elle fut cachée depuis des mois. Aucune réponse ne fut donnée aux interrogations qui montaient de partout, en particulier ici sur cette techtonique des plaques numériques, quand très rapidement la certitude se confirmait que quelque chose de louche était en cours. Où est la Pointe de Sarène (nom de l’avion présidentiel) ? Assemblée nationale, qu’attendez-vous pour en débattre ? Et tant d’autres questions soulevées demeurèrent dans le vide.
Comme dans le bradage des ressources énergétiques, surtout à travers la privatisation au profit de Petrotim où son frère, son prête-nom, est mêlé avec son acolyte, l’apatride Frank Timis, ou encore les surfacturations des marchés de l’Etat, pour se partager les commissions et rétro-commissions, et la capture des emprises foncières et financières, c’est à une cannibalisation du Sénégal que nous assistons sous le régime de celui que j’avais pris le soin d’avertir sur sa non-éligibilité, dès 2012, parce que je le savais criminel.
Dans tous les pays du monde, dans tous ceux qui ont une once de dignité, le peuple, ses élites, ses guides, intellectuels, religieux, syndicaux, artistiques, se seraient coalisés, de longue date, automatiquement, pour chasser l’intrus, le fâcheux, l’autocrate.
Certains pensent, à tort, me semble-t-il, que Macky Sall a «marabouté» les Sénégalais. Ils sont désormais en effet divisés en groupes ainsi répartis :
-les uns complotent avec lui pour avoir accès aux miettes qu’il laisse tomber et n’ont aucune gêne à se faire ses griots pour justifier tout ce qu’il pose comme actes (on les entends naturellement voler à son secours dans la saga de l’avion) ;
-les autres s’aplatissent, oubliant leurs responsabilités de guides, religieux ou autres, pourvu qu’il prétend les consulter (même si c’est juste pour légitimer ses coups tordus), en leur versant quelque dîme de corruption qu’ils empochent sans sourciller, au mépris du malheur du peuple, délaissé ;
-d’autres encore, dans la classe politique, égoïstes, incapables de surmonter leurs aspirations grégaires, continuent de faire des calculs attentistes, de compromissions, qui ont réduit le champ de l’opposition en un vaste amas de ruines ;
-et il y a l’intelligentsia, avec ses excroissances dans les cafés dakarois ou dans certaines corporations paralysées par le culte de la vénalité, qui font tout pour se…taire ou pour jouer aux manœuvriers du pouvoir illégitime.
J’ai honte de ce Sénégal. Je ne m’y reconnais pas. Savoir qu’un peuple de 16 millions d’habitants, qui s’est longtemps battu pour la démocratie, les libertés, la bonne gouvernance, peut se laisser marcher dessus par un tel saltimbanque voleur, fermer les yeux sur sa prédation des biens publics, ignorer les violations des droits humains, se courber sans mot dire, c’est véritablement la preuve que même sa supposée inclinaison religieuse n’est que du toc. Un exemple l’atteste : ce marabout qui rampe devant un mécréant Macky Sall à Touba, rien que pour porter le titre de Ministre-Conseiller….
L’affaire de cet avion est très grave donc. S’il a pu faire la transaction en cachette, ne se sentant obligé de l’annoncer par un transhumant, Omar Gueye, sans foi ni loi, que parce que le crime ne pouvait plus être caché, on peut gager que d’autres plus graves scandales sont dans les armoires de la République mafieuse que le Sénégal est sous le magistère du plus grand escroc ayant pris les clés du coffre-fort national au moyen d’une démocratie dévoyée, par le vote d’un peuple qui avait refusé de voir le soleil en le portant à sa tête.
Le cynisme capitulard qui est devenu l’écosystème de la nation le mène en mode accéléré (fast-track) vers son destin de nation promise à une déchéance. Tout s’effondre. Amitiés, parentés, partisanneries politiques, cohortes confrériques, citoyennetés.
Si le Sénégal n’arrête pas Macky Sall dès maintenant, c’est qu’il n’a vocation à être autre chose qu’un Etat indigne d’exister. Forces de désordres, juges en commando (parfois assassinés après avoir fait le SALL boulot, tel Samba Sall), médias corrompus, avocats mercantilistes et traitres aux causes de leurs clients, marabouts qui refusent de s’exprimer sur les vraies questions, ou encore syndicalistes habitués au défilé de mode, en péripatéticiennes, du 1er Mai, en somme les Sénégalais dans leur ensemble, sauf les déshérités, laissés à l’abandon, s’enlisent dans le déshonneur de se faire écraser par un moins que rien.
Dieu observe si un grain d’honneur fera enfin sortir de sa torpeur ce peuple capitulard. L’avion devrait en être le déclencheur, s’il existe évidemment…
Adama Gaye*, un opposant au régime de Macky Sall vit en exil.
Ps: Le pire au Sénégal, ce sont ces amis, parents, professionnels, ou prétendus soutiens qui font tout pour décourager celui qui s’oppose à Macky Sall. Qu’ils le sachent, je les attends de pied ferme, y aura pas de masla. Quiconque joue à ces calculs morbides ne sera épargné -à bon entendeur, par souci de clarté. Le débat sera public, personnel, si besoin, je n’ai autorisé personne à faire de la médiation me concernant.
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