Loi protégeant les femmes enceintes en milieu professionnel : Deux ans après, toujours pas d’application !

Son adoption par l’Assemblée nationale était considérée comme une avancée au Sénégal. Toutes les femmes avaient poussé un ouf de soulagement. A la vérité, la discrimination liée à la grossesse devrait être éliminée depuis le 5 avril 2022, suite au vote par l’Assemblée nationale du projet de loi numéro 31\2021 complétant certaines dispositions de la loi numéro 97-17 du 01 décembre 1997, portant code du travail et relative à la protection de la femme en état de grossesse. Mais jusqu’à l’heure où ces lignes sont écrites, cette loi ne sert pas grand-chose. Les décrets d’application ne sont pas encore signés au grand dam des femmes salariées. Certaines ont préféré abandonner leur emploi après des années d’études et de sacrifices. Leurs confessions suscitent toutes les compassions.

 

 

Les femmes enceintes et allaitantes sont dans un vrai embarras. Elles se livrent à une gymnastique pour préserver leur état, s’occuper de leur nourrisson et remplir leurs obligations professionnelles. Après l’accouchement, certaines sont tenues de reprendre le boulot. La durée actuelle des congés de maternité ne donne aucune chance aux mamans de mieux s’occuper de leur bébé.  D’ailleurs, certaines mères salariées choisissent leur bébé à la place du travail tout en brisant leur rêve d’indépendance. C’est le cas de Gina Henriette Sylvie, une jeune femme âgée de 27 ans qui vit à Ouakam, au quartier de la Cité Avion. Après quatre ans de service dans une entreprise privée, la jeune maman a décidé de jeter l’éponge pour prendre soin de sa fille aînée. En effet, après la joie de la maternité, elle se retrouve devant un dilemme : allier la prise en charge du bébé et son boulot.

Appelée à rejoindre son poste 8 semaines après la naissance de son bébé, elle raccroche l’appel pour se concentrer sur son nourrisson. Aujourd’hui, sa princesse a soufflé ses deux bougies. Mais Gina se souvient encore de sa mésaventure. Une histoire qu’elle raconte avec beaucoup d’amertume.

 

« J’ai accouché par voie césarienne. Je n’étais pas dans les dispositions de reprendre le boulot après avoir écoulé mes trois mois de congés parce que je n’étais pas encore complètement guérie et je ne pouvais pas confier mon bébé à une autre personne. Ma fille était trop petite, maladive et pleurait tout le temps. Seul l’allaitement pouvait la calmer », se confie-t-elle en toute tristesse.

 

Gina a pris une bonne décision parce qu’elle n’avait pas le choix. Elle pouvait aller au boulot pour la forme car son esprit sera à la maison. Sa reprise au bout de son congé de maternité aurait des incidences nulles sur le fonctionnement de l’entreprise.

 « Je savais que si je reprenais à ce moment-là, je ne serai pas productive comme avant car je n’aurai pas la conscience tranquille en la laissant derrière moi. C’est pourquoi, j’ai enterré ma carrière professionnelle. C’était très dur de prendre cette décision, mais c’était la seule chose que je pouvais faire pour assister ma fille », a opté Gina.

 

 

Le début était difficile. Elle était abattue. Au fil du temps, elle s’en remet. C’étaient des moments difficiles. Elle avait pensé à tout y compris ne pas choisir le bébé à la place du boulot. C’était la séquence de confusion généralisée.

 

    Des vies et des rêves brisés

 « Après, je ne pouvais plus supporter le fait que j’ai abandonné mon travail. Je suis restée une semaine presque à pleurer. Il m’arrivait même d’en vouloir à mon bébé qui est innocent. Je me disais parfois que s’il n’était pas venu, peut-être je n’aurais pas à abandonner mon boulot. Mais après, j’ai compris qu’il n’en est pour rien et que c’était mon destin », livre-t-elle avec regret.

 

Pourtant, c’est elle qui remontait le moral aux femmes qui étaient dans cette situation. Gina ne s’imaginait jamais qu’elle serait dans cette situation.  « Le fait de voir cette femme forte, travailleuse et battante que j’étais, être à terre sans arme me mettais en colère. Je donnais des conseils à des femmes qui décident de jeter l’éponge dans de pareilles circonstances. Je me dis que ce serait une honte pour moi de faire ça. Je n’aurai jamais cru que je j’aurai à vivre ça un jour à cause de mon statut de mère. C’est tout un rêve brisé malgré tous les diplômes acquis. Les femmes ne méritent pas ça », narre la dame.

 

Depuis lors, Gina Henriette peine à trouver un autre emploi. Mais la jeune dame est soutenue par son mari qui l’aide à ouvrir une boutique de produits cosmétiques et un multiservice devant sa maison. Une manière de l’encourager à ne jamais baisser les bras.

C’est une victime des textes. C’est donc logique, à l’occasion de la fête du 8 mars qu’elle milite pour l’application de la loi 31\2021 portant code du travail et relative à la protection de la femme.

 

« Elles sont nombreuses à avoir vécu cette difficile épreuve dans la société et ça doit être vraiment dépassé. La loi sur l’allongement des congés de maternité doit vraiment être appliquée pour soulager les femmes. Dès le début de la grossesse des femmes s’inquiètent sur leur avenir après l’accouchement. Il est difficile de porter une grossesse pendant neuf mois avec tous les risques et complications et de reprendre le travail deux mois après l’accouchement », soutient-elle.

 

La situation des femmes allaitantes est beaucoup plus compliquée si le couple réside dans une zone éloignée des deux belles-familles. Elle pense qu’il est impérieux d’ouvrir les crèches au sein des entreprises.

 

 « Il est vraiment temps qu’on applique cette loi et si possible il faut ouvrir des crèches dans les entreprises pour sauver la carrière professionnelle de ces braves femmes qui sont les dernières à se coucher et les premières à se lever. Il faut comprendre quand on commence à faire des enfants, on devient perplexe et les trois sont vraiment insuffisants » a préconisé Gina.

 

 

 Le cas de Gina n’est pas isolé. Madame Dia, enseignante dans une école Franco Arabe à Keur Massar a aussi goûté à la saveur de ce chagrin. Seulement, l’enseignante a trouvé la formule pour assurer ses cours et s’occuper de son bébé. Elle reprend ses cours trois mois après son accouchement.

 

« C’était une reprise avec beaucoup de difficultés parce que je n’avais personne pour m’aider et je ne pouvais pas le confier à la crèche parce que je tiens beaucoup à l’allaitement exclusif qui est un droit fondamental pour tout enfant. Du coup, je l’amenais tous les jours avec moi à l’école », raconte l’enseignante.

 

Elle avait aménagé un endroit dans la salle où le bébé pouvait dormir. Lorsque ce dernier se réveille, soit elle le porte au dos soit elle tient dans ses bras.  « Parfois, il pleurait sans cesse et me perturbait en plein cours.  Mais le fait de le voir à mes côtés me rassurait et me faisait oublier beaucoup de choses même si c’était compliqué», se souvient-elle.

 

   La peur d’une nouvelle grossesse

 

Il lui arrivait de libérer les élèves et de s’enfermer dans la classe pour pleurer. L’enseignante a failli jeter l’éponge. N’eut été le soutien de ses collègues, elle allait claquer la porte des classes.

  «  J’ai souffert pendant au moins 06 mois. Déjà je passais des nuits blanches et le jour c’est l’école qui m’attend. C’était très difficile. Mais je me suis quand même battue. Quand je pense à ces 03 mois de congés, ça ne me donne pas envie de retomber enceinte. C’est vraiment insuffisant ».

 

Paradoxe entre les congés de maternité de 3 mois et l’allaitement maternel exclusif

 

C’est pour cela que madame Dia invite le ministre de la Femme et celui du Travail à trouver des solutions à cette situation des femmes. Elle presse les autorités à passer à l’acte de l’application de la loi.

 

« Madame le ministre de la Femme, monsieur le ministre du Travail, nous femmes, nous mères vous sollicitons de matérialiser cette loi déjà votée à l’Assemblée nationale. Nous réclamons vivement le décret d’application parce que je trouve contradictoire qu’on recommande l’allaitement exclusif jusqu’à 06 mois et vous voulez que la maman tourne le dos à son bébé à trois mois. C’est vraiment à revoir », déplore-t-elle.

 

En cette prélude de la présidentielle, les candidats à la magistrature suprême sont aussi interpellés pour intégrer les causes féminines dans leurs programmes. Elles pensent que la candidate, Anta Babacar Ngom doit être plus sensible à cette question et doit porter ce combat.  

 

Pour les deux jeunes mamans, les femmes sont laissées en rade dans beaucoup de programmes. Les deux femmes allaitantes estiment que l’application est une urgence absolue qui doit être défendue durant le 8 mars.

 « Cette journée devrait servir à prendre en charge les préoccupations des femmes. C’est vrai, on doit célébrer la femme mais pas trop de fête et de folklores jusqu’à oublier les problèmes qu’elles vivent comme on a l’habitude de le voir au Sénégal. On s’attend à ce qu’on expose les doléances des femmes dans le but d’apporter des solutions et l’application de cette loi nous tient à cœur », s’expriment nos deux interlocutrices.

 

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