Comment les 7 Sages ont bloqué Macky Sall
La crise politique sénégalaise est en train de connaître un dénouement depuis mercredi à la suite de la décision rendue par le Conseil constitutionnel sur la saisine du président de la République. Le même jour, la date de l’élection présidentielle a été fixée au 24 mars par le chef de l’Etat, Macky Sall. La haute juridiction était saisie par «lettre confidentielle» du président de la République, le 4 mars, à la suite de la remise des conclusions du dialogue national sur la tenue de l’élection présidentielle.
La juridiction devait spécifiquement se pencher sur trois questions que Macky Sall lui avait adressées. D’abord, en rendant sa décision, le Conseil constitutionnel a précisé qu’il peut être bel et bien saisi par le chef de l’Etat, selon les termes de l’article 92 de la Constitution. La première demande de Macky Sall portait sur la tenue du scrutin le 2 juin tel que l’avait proposé le dialogue national tenu le 26 février à Diamniadio.
Signification de l’expression «meilleurs délais»
Sur ce point, le Conseil constitutionnel a rappelé le «caractère intangible» de la durée du mandat du président de la République. Il a alors estimé que fixer la date de l’élection au-delà de la fin du mandat du chef de l’Etat, le 2 avril, «a pour effet de créer un vide institutionnel non prévu par la Constitution, qu’elle est, de ce fait, contraire au principe à valeur constitutionnelle de sécurité juridique et de stabilité des institutions». Dans le même ordre d’idée, les «7 Sages» ont rappelé avoir invité les «autorités compétentes» lors de sa décision rendue le 15 février, à «fixer la date dans les meilleurs délais». Et que l’expression «meilleurs délais renvoie nécessairement à une date pouvant permettre la tenue du scrutin avant la fin du mandat» de Macky Sall. Sur ce, la haute juridiction qui avait laissé précédemment au chef de l’Etat le soin de comprendre lui-même la signification de l’expression «meilleurs délais» dans le temps, a fermé la porte au dilatoire noté depuis début février sur la tenue de l’élection. Le Conseil constitutionnel est venu pour préciser qu’un décret fixant la date de l’élection après l’expiration du mandat du président de la République ne trouverait pas de base légale, donc non conforme à la Constitution. En clair, sauf un «événement assimilable à la force majeure», à partir du 2 avril, Macky Sall n’est plus considéré comme le président de la République du Sénégal.
Invalidité du dialogue de Diamniadio
Sur l’avis portant du maintien des 19 candidats à l’élection déjà validés et un nouvel examen de candidats dits spoliés lors du dépôt de leurs dossiers au niveau de la juridiction, le Conseil constitutionnel a indiqué que «ni la Constitution ni le Code électoral ne prévoient d’autres formes de détermination de la liste des candidats». Et que ses décisions, conformément à la Constitution, ne sont susceptibles d’aucun recours. En définitif, seuls les 19 candidats retenus dans la décision rendue le 20 février, participent au scrutin. Donc, les «7 Sages» de conclure que l’existence d’un «consensus» issu d’un dialogue postérieur à la décision arrêtant la liste des candidats, «ne fait pas partie des causes de modification» de la liste des prétendants à la magistrature suprême.
Compromission de la stabilité des institutions
Enfin, le Conseil constitutionnel a indiqué que l’article 36, alinéa 2 de la Constitution n’est pas applicable au cas où l’élection n’a pas lieu avant la fin du mandat de Macky Sall en cours. Les «7 Sages» ont motivé leur décision sur le fait que «la durée du mandat du président de la République ne peut être réduite ou allongée au gré des circonstances politiques, quel que soit l’objectif poursuivi». L’article 36, alinéa 2 dit que le «président de la République en exercice reste en fonction jusqu’à l’installation de son successeur». Là, les Sages ont indiqué que l’arrivée à terme du mandat du Président en exercice sans que son successeur soit élu, «en raison du non respect du calendrier électoral», n’est pas prévue par la Constitution et qu’elle ne peut être régie cet état de fait. Le Conseil considère que le maintien d’un président dont le mandat a expiré constitue un «précédent de nature à compromettre la stabilité des institutions». Dans sa décision du 15 février, le Conseil avait rappelé la nécessité d’une stabilité des institutions et des textes constitutionnels, qui ne doivent pas être soumis aux aléas politiques. Les «7 Sages» sont restés sur les mêmes principes de la loi face aux acrobaties de l’Exécutif à tenir le scrutin présidentiel dans les «meilleurs délais».
De magistrats chahutés à «sauveurs» de la République
Ces dernières années, la justice sénégalaise était presque jetée en pâtures. Beaucoup de magistrats avaient été soupçonnés d’être à la solde de personnalités politiques du pouvoir. En tout cas, ce n’est pas le candidat Bassirou Diomaye Faye, en prison, qui va démentir. «Certains magistrats se sont donné comme mission d’égorger, de dépecer et de servir de la viande fraîche d’opposants politiques au président Macky Sall pour qu’il décide, selon ses manies et ses phobies, à quelle sauce il voudrait les manger. Ce comportement dommageable à la compétition politique démocratique et inclusive et à la paix civile au Sénégal doit cesser. En tout état de cause, force restera à la vérité et au peuple, s’il ne veut être soumis, par la force, pendant des décennies et des décennies», avait-il écrit. Ce qui avait poussé le procureur de la République de s’autosaisir et de l’envoyer au bagne. Le mentor de Diomaye Faye, Ousmane Sonko, lui aussi en prison, s’était fait le serment de «ne plus collaborer avec cette justice» qu’il avait qualifiée de tous les noms d’oiseaux, alors qu’il était au firmament de ses déboires judiciaires. Aujourd’hui, c’est cette même justice, presque ces mêmes magistrats qui empêchent le Sénégal de couler, un homme de s’arroger un «bail» à la tête du pays. La décision rendue par le Conseil constitutionnel, mercredi dernier, a soulagé tout le monde. Elle a dissipé le brouillard qui enveloppait les électeurs. Alors une question : les hommes politiques peuvent-ils inspirer au peuple une confiance par rapport à cette justice qu’ils ont contribué à discréditer au gré de leurs intérêts?
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