Quand le gaz divise l’Europe : le Slovaque Robert Fico fait cavalier seul pour négocier avec Vladimir Poutine
Le gaz russe fait son grand retour sur la scène géopolitique. Le Premier ministre slovaque Robert Fico s’est rendu ce dimanche à Moscou pour s’assurer de continuer à en recevoir. L’Ukraine ne veut plus le laisser transiter par son territoire. Après des années de valse-hésitation, une nouvelle crise du gaz se profile-t-elle en plein hiver ?
Dépendance énergétique de l’Europe
Pétrole et gaz sont devenus des armes dans les conflits : Moyen-Orient, crises financières, guerre en Ukraine… L’évolution des techniques crée de nouveaux producteurs et de nouveaux marchés : essor du gaz naturel liquéfié, développement du gaz de schiste initié par les Etats-Unis, efforts de sobriété et d’efficacité énergétique, surtout en Europe… Tout change en permanence, mais l’Europe conserve une forte dépendance à ses importations.
Le gaz est considéré comme abondant et surtout moins nocif pour l’environnement que le pétrole ou le charbon, et constitue une part importante du mix énergétique européen. Mais il est sensible aux enjeux stratégiques et son prix augmente.
Avant le début de la guerre en Ukraine, l’Europe importait près de la moitié de son gaz de Russie. Aujourd’hui, elle n’y recourt plus que pour 10% de sa consommation, mais avec d’importantes disparités par pays.
Ce gaz alimente toujours l’Autriche, la Hongrie… et la Slovaquie qui semble ne pas avoir prévu d’alternative à l’approvisionnement en gaz russe via l’Ukraine. Sa voisine, la Hongrie, a planché sur un parcours moins risqué : via la mer Noire et les Balkans.
Approvisionnement de l’Europe en gaz russe © RTBF – Malaurie Gallez
D’autres se tournent vers le gaz d’Afrique du Nord, norvégien ou alors américain, importé par méthaniers sous forme liquéfiée : France, Espagne, Pays-Bas, Belgique et Italie, en notant que cette dernière reste encore cliente de la Russie…
La Russie possède près de 20% du total mondial des réserves de gaz naturel en 2020, avec 37.400 milliards de mètres cubes, devant l’Iran (32.100) et le Qatar (24.700). Cela explique qu’il est difficile pour l’Europe de se passer du gaz russe.
Dispute à huis clos au sommet européen
Vendredi, le sujet a déjà été motif de tension derrière les portes du sommet européen tenu à Bruxelles. Volodymyr Zelensky a annoncé qu’il allait fermer le robinet des gazoducs qui traversent son pays pour fournir les Européens en gaz russe. L’Ukraine a fait savoir l’été dernier qu’elle ne renouvellerait pas le contrat la liant jusqu’à la fin de l’année à la Russie pour faire transiter le gaz russe vers l’Europe via son réseau étendu de gazoducs.
« Nous sommes honnêtes, ouverts et transparents dans ce que l’on fait. Nous ne voulons pas proroger le transit du gaz russe sur notre territoire. Nous ne voulons pas donner la possibilité à la Russie de gagner plus de milliards sur le sang et la vie de nos citoyens« , explique le président ukrainien aux Européens.
Au grand dam de Robert Fico, réputé proche de Moscou. Suspendu par le parti socialiste européen dès 1999 pour son alliance avec les nationalistes et les populistes, il est indélogeable dans le paysage politique de la Slovaquie qu’il pilote une nouvelle fois depuis l’an dernier sur une voie nationale-populiste, russophile et xénophobe. Il a échappé à une tentative d’assassinat en mai dernier.
L’accès au gaz russe est crucial pour la Slovaquie en raison de son enclavement. Bratislava importe non seulement quelque 3 milliards de m3 de gaz russe par an mais elle perçoit aussi 500 millions d’euros de redevance pour le transit de ce gaz vers les autres pays européens. Sans doute une raison de plus pour ne pas changer de chaîne d’approvisionnement… La Slovaquie assure que le gaz ne passant pas par l’Ukraine lui coûterait 220 millions d’euros en frais de transit supplémentaires.
L’argument agace le président ukrainien : « L’Ukraine perd beaucoup plus d’argent. Mais en temps de guerre, on ne peut pas parler d’argent. Nous, ce sont des vies humaines que nous perdons« . Volodymyr Zelensky ne veut pas non plus d’un éventuel mécanisme de transit de gaz russe acheté par l’Azerbaïdjan, une des options envisagées.
En représailles, la Slovaquie se dit prête de son côté à remettre en question ses livraisons d’électricité vers son voisin ukrainien ainsi que son aide humanitaire. Robert Fico a déjà gelé toute aide militaire en plaidant pour des négociations de paix.